14/05 Marathon du Luxembourg, le récit de Marc.

11.05.24 – Marathon de Luxembourg

Il arrive souvent qu’on doive me mettre le nez sur les choses pour que je me connecte à la réalité. Il est vrai que j’avais confectionné un calendrier particulièrement tarabiscoté pour faire coïncider mon 300me (ultra)marathon avec la date de celui de Luxembourg. Malgré tout, cela ne restait qu’un marathon de plus et même si j’adore ma casser la tête pour trouver une signification à toute chose ou voir des symboles partout, le marathon de Luxembourg ne restait après tout qu’un marathon de plus. Pas moins, mais pas plus non plus. Et en tous cas pas plus long que le 299me ou celui d’avant. Mais bon, à force de fanfaronner tout en prétendant ne pas le faire, il fallait bien s’attendre à un retour de manivelle. C’est Didier, votre Didier, notre Didier, LE Didier qui a initié ce retour en étant l’instigateur d’une interview dans l’Avenir. « Marc Beffort. L’homme aux 300 marathons ». Bah, pas grave, personne ne lit l’Avenir, me suis-je dit. Que nenni ! De publications Facebook en partages, ma notoriété a très vite percolé pour épouser une courbe exponentielle à faire pâlir  les traders de Wall street et de la Bourse de Francfort réunis. Il est heureux que j’aie manqué le rendez-vous proposé par RTL, car avec cette publicité supplémentaire je ne serais plus parvenu à me déplacer sans protection rapprochée. Et vas-y pour dénicher des gardes du corps capables d’aligner 42 bornes affublés de flingues et de micros…. Ne parlons même pas de tous ces influenceurs qui auraient été brutalement relégués dans l’ombre de la star !

Mais. Arrivés sur place, c’était au tour de Francesca et Elena de parachever le travail de la presse mondiale en sortant de leur chapeau un t-shirt spécialement conçu pour l’occasion (je n’allais pas passer incognito) assortis de quelques bouteilles personnalisées à déguster après la course.

D’ordinaire, ce n’est pas que la pression effraie particulièrement le Luxembourgeois moyen (dont je fais partie), par nature habitué à descendre sans coup férir la Diekirch, la Mousel ou la Bofferding, mais tous ces projecteurs braqués d’un coup sur votre serviteur, je ne suis pas vraiment fan.

Voilà pour le préambule : n’en jetez plus, la coupe est pleine. Plus question de se débiner.

Au contraire de ce que colporte la presse, le marathon de Luxembourg est mon favori et j’en suis déjà à ma 15me participation, ce qui me vaut l’insigne privilège d’un dossard personnalisé. J’arbore donc fièrement un numéro attribué ad vitam aeternam : le 1989, année de mon mariage (je vous disais…. les symboles). Courir au Grand-Duché me procure toujours une émotion particulière. Que ce soit à Heiderscheid, Beckerich, Echternach, Wiltz, Esch-sur-Alzette ou dans la capitale, c’est un mélange étrange de joie, de nostalgie, d’impatience – dans des proportions variables. Pour paraphraser mon ami Vincent, la course n’est pas facile : son départ et son arrivée sont situés au point culminant du Kirchberg (et dans Kirchberg, il y a … berg), mais entre ces deux extrêmes, il s’agit de tournicoter dans la ville pour descendre petit à petit tout en bas, jusqu’au fond du Grund où se languissent l’Alzette et la Pétrusse. Un sacré dénivelé positif à avaler dans les 10 derniers kilomètres. Puis, il fait très chaud. Puis, il faut réussir à gérer la journée en vue d’un départ en soirée (19 heures). Puis, ces derniers jours j’ai été un peu malade. Puis, mes ischios. Puis, l’alcool. Puis. Puis. Puis. Bref, j’ai beau avoir quelques marathons sur la conscience, c’est toujours la même farandole obsédante de doutes et d’interrogations.

Mes amis Saskia et Martin ont fait le déplacement pour l’occasion et c’est à six que nous empruntons le tram bondé, mais gratuit, vers Luxexpo pour le départ. Il y a un monde fou – le speaker évoque 16.000 personnes, toutes épreuves confondues. Il y a peu, l’organisation en autorisait la moitié et je trouvais déjà ça excessif ! Malgré tout, Elena, François et moi réussissons à nous glisser dans notre sas de départ. Insolation garantie pour qui n’a pas prévu un couvre-chef… François et Elena m’accompagneront sur les 15 premiers kilomètres avant de bifurquer place Guillaume II pour conclure leur semi, à charge pour moi de me débrouiller seul, comme un grand.

Le départ est donné à 19 heures. Il nous faut quelques minutes pour franchir la ligne. Un virage en épingle, une légère montée et nous voici lancés dans les rues du Kirchberg. Cette année, il n’y a pas trop de bousculades, pas besoin de jouer des coudes ou de recourir aux insultes (en luxembourgeois, c’est quelque chose, croyez-moi). Je ne veux pas me faire griller par mes deux compagnons de route (Elena a bouclé son semi à Bonn en 1:35, François son marathon en 3:07. Et sans forcer – inutile de faire un dessin) et, malgré la longue descente, je cherche à ne pas m’emballer et à trouver un rythme raisonnablement prudent. Nous traversons le Rout Bréck puis c’est déjà le glacis où, miracle (tiens donc… Rome n’a pas le monopole des miracles…) nous parvenons à identifier Francesca et Martin dans la foule compacte et bruyante. Difficile de décrire cette ferveur populaire à ceux qui se nourrissent encore du cliché de Luxembourg, cité mollement bourgeoise et assoupie en permanence. Pourtant… le public est phénoménal, enthousiaste. Le passage dans le parc municipal, puis dans des rues plus ombragées me fait du bien, l’inconfort provoqué par la chaleur s’atténue et la course devient agréable. Après un passage au centre, c’est déjà le moment de dire au revoir et merci à mes deux compagnons. Me voilà seul. Le peloton s’est considérablement élagué. Mes ischios aussi. B**** de m**** de p**** de ch**** (Excusez-moi – fallait que ça sorte. En français). La douleur a commencé à se manifester. J’essaie de penser à autre chose. Nous sommes dans le quartier Bel Air où, enfant, mon Papa faisait la guerre aux garnements de Merl, le quartier voisin. J’essaie de me figurer ce qu’il était il y a pfiouuuuuuu….. mais c’est difficile : les nouvelles constructions modernes foisonnent, empêchant mon imagination de gambader tranquillement.  Même ici, à l’écart du centre, les gens sont dehors pour nous voir passer et nous encourager. De nombreux barbecues sont installés sur les trottoirs bariolés d’inscriptions multicolores à notre gloire, les gens nous offrent de l’eau, des bananes ou des oranges, il y a de la musique et des douches improvisées. C’est juste super et ça m’aide à me distraire de mes douleurs. Ca monte et ça descend, ça zigzague en permanence. Mais j’avance. Nous voici déjà dans la vertigineuse descente vers le Grund. Un véritable tobogan qui tape grave dans les cuisses à ce stade de la course. La nuit tombe et les deux kilomètres aux lampions le long de la Pétrusse sont magiques. C’est la dernière portion plate et nous sommes au kilomètre 32. Une vilaine rampe nous ramène au pied de la magnifique Spuerkeess puis nous redescendons vers la gare. Brutal demi-tour, pas le temps d’apercevoir le côté glauque de la ville, franchissement du pont et après quelques instants de calme relatif, c’est la ferveur de la place de la Constitution. Indescriptible ! On est presque content de s’en sortir tympans indemnes et de retrouver les méchants pavés pentus de la vieille ville (Rome n’a pas le monopole des pavés, non plus). Là, ce sont des groupes folkloriques portugais qui donnent joyeusement le ton. Puis, y’a plus qu’à…. Un passage dans l’obscurité totale à proximité de la Fondation Pescatore pour échapper au bruit et à la fureur. Nouvelle traversée, mais en sens inverse, du Rout Bréck. KM 38. Une boucle crétine et dans le noir autour du Musée d’Art moderne au bout de laquelle ma personal crew m’accueille en héros. Je n’ai sauvé aucune vie, je ne fais que courir un marathon, mais j’accueille avec joie ce moment de réconfort. Ca me fait un bien fou. Je suis requinqué. Le passage dans le tunnel de la Philarmonie est une simple formalité, malgré les fumigènes « décoratifs » déclenchés par les cinglés du Fat Betty Run (quelle idée saugrenue !). Il reste trois kilomètres, étonnant contraste avec tout ce qui a précédé. Le boulevard Kennedy monte, monte, monte sans arrêt, impitoyable. Le public a disparu et un calme inattendu, propice à l’introspection s’est installé. Mes douleurs, ma fatigue, le chrono… Au kilomètre 41, c’est encore pire : nous sommes invités à emprunter un sentier parallèle où il n’y a plus de lumière du tout. Rien. Nuit noire. Impossible de voir où l’on pose les pieds. Pas évident (pour paraphraser à nouveau l’ami Vincent). Mais au bout du tunnel, comme toujours, la lumière. Revoilà Luxexpo, oasis explosif de lumières flamboyantes et de paillettes dorées. L’arrivée indoor est tout simplement magique : nous sommes accueillis par une foule déchaînée, dans une ambiance de délire. Un coup d’œil à mon chrono (presque le premier) :  3h54. Il y a quelques années, mais pas tant que ça, je bouclais ce parcours 35 minutes plus vite…. Aujourd’hui JE M’EN FOUS !!!

Mon 300me marathon est dans la poche. Maintenant, il s’agit d’éviter la dépression et je me dois de dénicher d’urgence un psychiatre qui acceptera de prendre en charge mon cas compliqué. Je sors du labyrinthe de Luxexpo et le retour chez les miens se fait sans autre encombre qu’un nouveau tram bondé. Mais gratuit. Nous pouvons trinquer l’âme en paix. Il n’ y aura plus personne pour fêter mon 301me marathon (pourtant 301 c’est mieux que 300, non ?) alors autant en profiter ! Saskia, François et Elena ont bouclé leur semi. Francesca et Martin leurs 20 km de marche pour nous supporter le long du parcours. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Une nouvelle fois, le marathon de Luxembourg aura été une aventure magnifique. Certes, en ce qui me concerne, c’est toujours un peu particulier étant donné mon attachement viscéral, voire pathologique à ce pan géographique de mon histoire personnelle mais en toute objectivité, je ne peux que recommander cette magnifique épreuve. L’organisation est parfaite et la ville se met au diapason : ici, le marathon n’est pas considéré comme une nuisance et tout le monde contribue volontiers à la fête. Le parcours est certes peu propice à claquer un record du monde, mais il est très varié et l’ambiance unique. Et si j’étais Turkmène ou Bantou plutôt que Luxembourgeois, je dirais exactement la même chose : venez à Luxembourg, c’est l’éclate totale.

Enfin, last but not least : merci à tous ceux qui  ont prononcé un mot gentil, ont cliqué sur « like »  ou ont eu une attention quelconque à l’occasion de ce milestone particulier. En tout premier lieu à Francesca, Elena, François et Didier mais aussi à tous les autres. Vous m’avez mis la pression mais rendu le voyage tellement beau… Je vous en suis infiniment reconnaissant.